Ce changement à Suzuka a-t-il tué le spectacle au GP du Japon ?

Suzuka, circuit de légende, a offert une course étrangement calme. Le nouveau bitume a-t-il enlevé tout le charme de ce Grand Prix mythique ?

Photos : S. Andre Yoder Harris

C’est l’un des circuits les plus emblématiques du calendrier, adoré des puristes comme des pilotes. Pourtant, le dernier Grand Prix du Japon, disputé à Suzuka, a laissé certains observateurs sur leur faim. La course, maîtrisée mais sans éclat, a suscité un débat inattendu : le resurfaçage partiel du tracé aurait-il anesthésié le spectacle ?

Depuis plusieurs mois, les équipes techniques du circuit de Suzuka s’étaient attelées à moderniser une partie de l’asphalte, entre la ligne droite principale et le début du secteur intermédiaire, y compris les légendaires virages rapides comme le “Degner”. Objectif : améliorer l’adhérence, gommer les irrégularités, offrir un terrain de jeu plus sûr et plus fluide.

Mission accomplie sur le plan technique. Mais ce que l’on gagne en confort de pilotage, on le perd parfois en complexité. Le nouveau revêtement, très peu abrasif, a considérablement réduit la dégradation des pneus. Résultat : une course où la majorité de la grille s’est contentée d’un seul arrêt. De quoi figer les positions très tôt, rendant l’ensemble de la course peu animé.

Les réactions n’ont pas tardé à affluer après l’arrivée. Nico Hülkenberg a été parmi les premiers à pointer du doigt l’effet paradoxal de cette évolution : « Le nouveau tarmac est agréable à piloter, mais il rend les courses trop statiques », a-t-il résumé après avoir passé l’essentiel de son après-midi bloqué derrière une Alpine sans pouvoir attaquer.

Même son de cloche chez Charles Leclerc, qui, malgré une prestation solide, a décrit la course comme “fade”. George Russell, quant à lui, est allé un peu plus loin en appelant à un ajustement du côté de Pirelli : « Avec un tarmac neuf comme ici, on ne peut pas conserver des pneus aussi durs. On tue la variabilité. »

Un avis partagé par plusieurs ingénieurs dans le paddock. Sur une surface aussi uniforme, même les pneus tendres se comportent comme des médiums, et les médiums… comme des gommes quasi-inusables. Or, en F1, l’usure est souvent la meilleure alliée du spectacle.

Ce qui est peut-être le plus frustrant, c’est que Suzuka a tout pour offrir des courses palpitantes : des enchaînements rapides, des zones de freinage exigeantes, et une vraie valeur technique. Mais sans usure pneumatique marquée, les écarts se stabilisent, les tentatives de dépassement se raréfient, et les stratégies perdent en diversité.

Il y a une certaine ironie à voir ce circuit, réputé pour son imprévisibilité historique, accoucher d’un top 6 qui franchit la ligne d’arrivée dans l’exact ordre de départ. Même les relais radio reflétaient une forme de résignation, avec des pilotes bloqués dans le trafic, incapables de combler l’écart à cause de la fameuse “trainée d’air sale” qui empêche d’attaquer.

Et en tant que fan de ce tracé, c’est un peu rageant. Parce que Suzuka mérite mieux qu’un défilé. C’est un circuit qui a vu naître des légendes, qui devrait être le théâtre de batailles épiques, pas d’un contrôle de course aussi clinique.

Suzuka n’est pas un cas isolé. Shanghai, lui aussi récemment resurfacé, a offert un profil stratégique similaire : peu d’arrêts, peu de rebondissements. C’est peut-être le signe d’un glissement discret mais réel dans la manière dont les Grands Prix se construisent. Des pistes de plus en plus lisses, pensées pour la sécurité et la performance pure, mais qui gomment parfois ce grain d’imprévu que le public adore.

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