Le flair légendaire de Senna a mis à nu une tricherie que la FIA n’a jamais pu prouver. Retour sur l’affaire Benetton, entre génie et zones d’ombre

C’est une histoire entrée dans la légende de la Formule 1. Celle du génie d’un pilote, Ayrton Senna, capable de repérer à l’oreille une irrégularité que les contrôles techniques les plus poussés n’avaient pas su détecter.
Début 1994, la Benetton B194 de Michael Schumacher domine outrageusement, avec des accélérations en sortie de virage qui semblent défier les lois de la physique. Senna suspecte alors quelque chose d’anormal face à cette perfection mécanique. Depuis l’interdiction des aides électroniques – suspensions actives, antipatinage, launch control – aucune monoplace ne devrait offrir une telle motricité. Pour le Brésilien, il n’y a pas de doute : Benetton a trouvé un moyen de contourner le règlement.
Le moment de bascule survient lors du Grand Prix du Pacifique, sur le circuit d’Aida. Contraint à l’abandon dès le premier tour, Senna ne rentre pas à son stand. Il reste en bord de piste, tel un commissaire improvisé, attentif à chaque passage de la Benetton n°5.
C’est là, dans le vacarme des moteurs, qu’il perçoit ce que les ingénieurs ne voient pas sur les écrans : un bruit moteur saccadé, irrégulier à la réaccélération. Un son typique d’un système d’antipatinage, conçu pour lisser la puissance et empêcher les roues de patiner.
Alertée par son pilote, l’écurie Williams saisit la FIA, qui ordonne une investigation complète. Les ingénieurs mandatés par la Fédération vont passer au crible le logiciel embarqué de la Benetton B194.
Les découvertes confirment les soupçons : des lignes de code cachées, dissimulées dans le système de gestion électronique, permettent d’activer manuellement un programme de départ automatique — le fameux « Option 13 » — ainsi qu’un antipatinage déclenchable uniquement via une séquence précise, invisible lors des contrôles classiques.
La preuve de l’existence du logiciel est irréfutable. Sur le papier, Benetton est prise la main dans le sac. Mais le directeur de l’équipe, Flavio Briatore, va jouer une carte redoutablement efficace : l’impossibilité de démontrer l’usage en course.
« Le programme existe, certes, mais cela ne prouve pas qu’il a été utilisé », plaidera-t-il avec son aplomb habituel. Faute de preuve formelle, la FIA se retrouvera contrainte de blanchir l’écurie sans la moindre sanction.
Ayrton Senna, qui perdra la vie lors du Grand Prix suivant à Imola, n’aura jamais connaissance de la conclusion de cette affaire, mais son instinct avait vu juste, son oreille avait trouvé ce que les ordinateurs n’entendaient pas.